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Vocabulaire gallo de Plémet

Bèrtran Ôbrée — Publié le 21 avril 2022

En 2019, Jessica Haumont a réalisé pour Chubri une enquête linguistique à Plémet auprès de Louise Boussard. À l'occasion de l'entretien, l'enquêtée a présenté un lexique de sa cousine Yolande Maurugeon dont les parents étaient eux aussi originaires de Plémet. Le vocabulaire de Yolande Maurugeon et des compléments de Louise Boussard ont été intégrés dans ChuMétiv le 7 avril 2022. Les mots recensés permettent de connaitre certaines caractéristiques du gallo parlé par ces deux femmes.  

 

Recenser le vocabulaire grâce à des sources écrites et sonores

Dès la mise en place de l'institut Chubri en 2007, l'une de ses priorités a été de recueillir la langue au plus vite face à la disparition progressive des locutrices et locuteurs de naissance et la rupture de transmission qui s'est amorcée depuis les années 1950. Pour recueillir la culture linguistique gallèse, Chubri enregistre des entretiens en gallo auprès de personnes âgées à travers le territoire gallo. Par la suite, les documents sonores créés peuvent faire l'objet de différentes formes d'exploitation telles que la transcription de noms de lieux, de prénoms, de noms de famille, de vocabulaire... 

Certains entretiens d'enquête sont conduits en utilisant des supports écrits. Il peut s'agir de textes ou de glossaires (publiés ou non) pour lequels nous recherchons des compléments sur le sens des mots ou leur prononciation. Dans ce cas la transcription des enregistrements est très complémentaire du dépouillement des documents écrits.

Par ailleurs l'équipe de Chubri a mis en place différentes bases de données pour y saisir du vocabulaire commun ou des noms propres à partir du dépouillement d'enregistrements sonores et de documents écrits. À ce jour, ces données lexicographiques sont valorisées à travers deux interfaces de mise en ligne pour un accès ouvert à toutes et tous. ChubEndret présente depuis 2016 les formes gallèses de communes et d'autres lieux. Et depuis 2019, ChuMétiv regroupe du vocabulaire tel qu'attesté dans différentes sources documentaires.

Transcription et publication

Les formes en gallo transmises par les informateurs sont d’abord transcrites en alphabet phonétique international. L’écoute des entretiens et la lecture des données onomastiques transcrites permettent d’analyser la prononciation dialectale et notamment de répertorier les phonèmes (les sons pertinents) en usage dans le territoire d’enquête (une seule commune en général). Les noms propres sont alors transcrits en suivant les règles du Moga qui est un « système de notation phonémique ». En effet, ce système orthographique élaboré par Chubri permet de restituer la prononciation dialectale, y compris des phonèmes spécifiques à certaines aires géographiques du Pays Gallo.

Nous restituons dans ChubEndret et ChuMétiv seulement les données qui nous semblent fiables. Nous écartons donc certaines données dans l’attente de recherches complémentaires. N'hésitez pas à transmettre à Chubri toute information susceptible de compléter ou corriger nos données. Merci d’avance.

Le lexique de Yolande Maurugeon et l'entretien avec Louise Boussard

Le vocabulaire de Plémet est issu du lexique contenu dans le livre « Le temps de la Grenadine » (Éditions Boudard, 2017) écrit par Yolande Maurugeon (1924-2016). L’autrice y décrit son enfance ainsi que ses vacances passées à la ferme de ses grands-parents à Plémet (22). Fille de Bretons exilés à Paris, elle était très à l’aise pour comprendre le gallo qu’elle était amenée à entendre aussi à la capitale. À 21 ans, elle commence une carrière internationale dans l’import-export mais continue de garder des liens très forts avec sa famille bretonne. Femme dynamique, travailleuse et soucieuse de la famille, Yolande a connu une belle réussite humaine et sociale grâce aux trois langues qu'elle a parlées : le français, l’anglais… et le gallo bien sûr !

C’est au décès de Yolande Maurugeon que le lexique manuscrit a été retrouvé à son domicile et que la famille l’a fait publier sous forme de livre. L’institut Chubri a pu avoir accès à cet ouvrage à l’occasion d’une enquête orale en aout 2019 chez sa cousine, Louise Boussard (1932-2021). Celle-ci a complété ce lexique en précisant la prononciation des mots lors d’un entretien enregistré par Chubri. ChuMétiv présente donc aussi des fiches de vocabulaire issues de la transcription des entretiens avec Louise Boussard.

Le parler de Louise Boussard

Les transcriptions du vocabulaire mis en ligne sur ChuMétiv ont été effectuées sur la base de l'entretien avec Louise Boussard au sujet du lexique de Yolande Maurugeon. Ces transcriptions permettent de relever certaines caractéristiques de son parler.

Du côté des consonnes, le parler de Louise Boussard présente des consonnes affriquées "tch" [tʃ] et "dj" [dʒ], comme on en trouve ailleurs dans les Côtes d'Armor et Morbihan, et non les palatales "qh" et gh" comme plus à l'est. Ces consonnes affriquées sont identiques aux consonnes de l'anglais dans "to chat" (converser) et "jazz". Contrairement aux palatales, ces consonnes peuvent apparaitre en finale de mot (s'ée lé piantt qi pitch : ce sont les plantes qui piquent) ainsi que devant des terminaisons verbales comme l'indique une autre enquête non publiée sur la même commune (coqheu : gratiner). Ailleurs plus à l'est, on dirait qhi piq et coqë.

La consonne [h] est attestée dans des mots comme : "hetaunt" (plaisant) ; hardi (beaucoup)
Mais elle a parfois disparu pour laissé un simple hiatus noté par le point médian "·" qui précède la voyelle. Il n'y pas de consonne mais c'est comme si, par exemple la liaison est impossible : dé ·ardd (des vêtements) ; ·eteu (ravi), ·etée (ravie) ; ·eurbolu (inégal, raboteux), ·eurboleu (marcher bruyamment).

Les mots contenant "cl-" en français se traduisent ici en "ti-" [tj] et non "cl-" ou "qi-" comme on trouve ailleurs en gallo, par exemple dans : tiocheu (boiter), in tiot (un champ, un clos).

Du côté des voyelles, une partie des finales de mots sont en "-eu" [œ] dans ce parler et non en "-ë" comme dans une grande partie du Pays Gallo. C'est le cas de verbes à l'infinitif (marcheu : marcher) et à la troisième personne du singulier de l'imparfait (on marcheu b·rdi b·rda) mais pas du participe passé (il a v·rsë). C'est le cas aussi de noms et d'adjectifs en "-eur" (tracaçieur) au masculin dont la forme féminine est en "-ërr" (tracaçiërr). Cette particularité de prononciation est consciente de la part de Louise Boussard car, à un moment de l'enquête, elle précise : "Manjeu, boujeu, monteu, aleu, s coucheu, s'ée tout "eu" bièn sorti. Pâ "ë"."

Les mots de la famille "chapè, chapiao" dans une bonne partie nord du Pays Gallo se disent ici "chapé, chapiao" (chapeau, chapeaux) : in pourçé, dé pourçiao.

Ce parler contient plusieurs diphtongues :
"aeu" [aʉ] > yaeu (eux, elles) ; zaeu (eu) ; caeutt (noisette) ; dé paeu (de la bouillie d'avoine).
"aï" [aɪ] > tt (étable) ; tu v (tu vois) ; pianch (plancher).
"ao" [aʊ] > nigaod (nigaud, idiot) ; marcaod (matou) ; drapiao (couches).
"eù" [œʉ] > dz (deux)

Par ailleurs, plusieurs voyelles longues à diphtongaison apparaissent clairement. Ces voyelles sont prononcées de deux façons différentes selon l'intensité de l'accent tonique :

  • La voyelle est abrégée si elle n'est pas accentuée. Par exemple dans "Unn journée d térr", la voyelle "ée" est prononcé de façon abrégée en un simple [e]. 
  • Au contraire, la voyelle est développée sous forme de diphtongue si elle apparait sous l'accent tonique, principalement en dernière syllabe de phrase ou avant une pause. Par exemple dans "(...) unn journée." le "ée" est développé en [e̞ɪ].
  • Ces deux exemples sont condensés dans cet extrait sonore de l'enquête de Chubri auprès de Louise Boussard : "Le tiot (...) i fè bièn unn journée d térr, i fè bièn unn journée". 

Les deux prononciations des voyelles longues à diphtongaison sont précisées en phonétique dans les fiches concernées dans ChuMétiv avec la mention "-" pour la réalisation abrégée et "+" pour la réalisation développée. Dans le parler de Louise Boussard, ces voyelles sont :

"aun" -[ɑ̃] +[ɑ̃ʊ] > brouçée d jaun (buisson d'ajonc) ; hetaunt (plaisant).
"ée" -[e] +[e̞ɪ] > bée (berceau) ; fouée (flambée) ; ·etée (ravie).
"ein" -[ɛ̃] +[ɛ̃ɪ] > i dizein (ils disaient) ; i tein (ils étaient) ; vërr mein (vraiment)
"ôo" -[o] +[ɔʊ] > dé tiôot (des champs, des clos) ; dé pilhôot (des chiffons).

À noter enfin que les mots en "-eur" comme dans tracaçieur [tɾakasjœ] prennent probablement une forme en "-iéer" au pluriel (dé tracaçiéer) mais le corpus traité n'a pas permis d'établir avec certitude cette opooisition de nombre. La poursuite des transcriptions sur cette commune devrait permettre de préciser ce point.

Un entretien sur Bécédia

Un autre entretien d'enquête orale, réalisé par Matlao Ghiton (Mathieu Guitton) auprès de Louise Boussard est disponible sur la chaine "De tai a mai" de Bretagne Culture Diversité.

 

Consulter le dictionnaire en ligne de vocabulaire ChuMétiv (recherche possible par commune) 

 

 


Entretiens d’enquête et transcription des données

Jessica Haumont

Coordination, direction linguistique et technique

Bèrtran Ôbrée

Remerciements

Familles Maurugeon et Boussard

Hélène Gustin / CAC Sud 22

 

 

Enqhétt a Piémë sée Louise Boussard © Martin Bertrand